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INFORMER N’EST PAS FORMER !


11/01/2022
Chapô

C’est un écueil classique, d’autant plus répandu que le temps nous manque parfois afin de bien penser nos actions pédagogiques : informer n’est pas former. Dans un cas, la liberté de l’apprenant est restreinte ; dans un autre, il s’agit au contraire d’affermir son autonomie, d’aller d’un point A à un point B. Tour d’horizon d’une problématique qui demeure actuelle.

Groupe de jeunes en formation autour d'un ordinateur
Paragraphes

Pour les formateurs et plus largement pour les professionnels de l’apprentissage, il est évident qu’informer n’est pas former. Pour autant, dans nos institutions, dans les conférences, dans les écoles et le système éducatif, voire même au cœur de certaines organisations, une confusion existe parfois dans les pratiques entre information et formation. J’informe, donc je forme… De nombreux dispositifs de formation cèdent à cette porosité entre deux champs qui sont pourtant très différents. Quelles sont les différences entre l’une et l’autre de ces dimensions ? Comment expliquer la confusion qui peut exister entre information et formation ? Quels sont les leviers du processus de formation ?

Informer, former : deux dynamiques et processus différents

Afin de bien saisir la différence entre information et formation, il convient tout d’abord de revenir aux définitions de l’une comme de l’autre. Informer, c’est transmettre des éléments vers autrui. L’information s’inscrit dans un processus unilatéral de transmission dont l’intention est strictement balisée. Avec l’information le chemin est tracé, la route est claire, et la personne qui se trouve concernée n’a plus qu’à se conformer à ce qui est lui indiqué dans un cours ou une formation. Tout est centré sur le résultat. Nous sommes ici loin de l’apprentissage… Comme l’indique le psychologue Carl R. Rodgers dans son ouvrage Liberté pour apprendre (Dunod, 2013), le « concept de contenu du cours est fondé sur la croyance que ce qui est enseigné est appris, que ce qui est explosé est assimilé, ce qui est un préjugé totalement faux. L’apprentissage, c’est permettre à chacun de trouver des réponses constructives, provisoires, mouvantes et dynamiques qui lui permettent d’agir, de transformer. »

Apprendre donc : seule la formation permet de dérouler ce processus. Former, c’est avant tout mettre en œuvre les conditions qui vont permettre à un apprenant d’être l’acteur conscient de sa propre transformation. Découverte, expérimentation, analyse, auto-questionnements, tâtonnements et erreurs… Apprendre, c’est vivre par soi-même des expériences et effectuer un cheminement qui est d’abord intérieur. Une dynamique que le professeur en sciences de l’éducation Philippe Carré nomme « apprenance », et qu’il explicite dans son livre récent intitulé L’apprenance, un nouveau rapport au savoir (Dunod, 2020). Former, c’est permettre à un apprenant d’aller d’un point A à un point B. C’est l’emmener vers un apprentissage nouveau.

Confusion autour des ressorts de la transmission

Former n’est donc pas informer, et inversement. Pourquoi, dès lors, une telle confusion dans certaines pratiques de formation ? Sans doute en raison du flou qui existe lorsque l’on parle de transmission. « Quand on parle d’apprentissage, le mot de transmission apparaît, en lien avec une notion de passage de relais ; celui-ci est très présent dans notre inconscient collectif », explique Samuëlle Dilé, experte en pédagogie multimodale et en sciences cognitives. « D’ailleurs, il faut remarquer que dans certains pays (Etats-Unis, Canada, Islande, Norvège…) le verbe ‘former’ a été laissé de côté au profit du mot ‘apprendre’ ». Ce n’est pas encore le cas en France, où la confusion existe, et avec elle une forme de contrainte qu’il s’agit d’opérer sur la personne à former. Et si nous préférions l’information à la formation pour des raisons de confiance en l’autre ? C’est ce que semble penser Carl R. Rodgers : « Si je n’ai pas confiance dans l’être humain, je suis alors bien obligé de le gaver d’informations, choisies par moi, pour l’écarter du mauvais chemin qu’il prend. Mais si au contraire j’ai foi dans la capacité de l’homme à développer ses propres potentialités, alors je puis lui permettre de choisir sa propre voie et de se diriger lui-même dans sa formation. » Dans un pays tel que la France, où la machine scolaire a parfois été très descendante dans ses processus d’apprentissage (souvenons-nous des hussards de la IIIe République !) et où l’Etat providence est très affirmé en tant que « sachant », il n’est pas exclu de penser que le processus d’information, synonyme de contrainte tout comme de déresponsabilisation, a pu parfois être préféré à celui de la formation - notamment pour des raisons de gain de temps supposé.

Dimension motivationnelle et principe d’autodétermination

En ce début de XXIe siècle, tout change. De nouveaux processus sont à l’œuvre, à l’image de la dimension motivationnelle et du principe de l’autodétermination. Du côté des apprenants, il est devenu impératif que ce qui doit être appris réponde à un sens bien précis. « Les individus cherchent désormais non seulement à atteindre des objectifs (‘je dois être capable de’) mais également à se projeter en termes de transformation (‘je veux devenir cela, ou comme ça’) », rappelle Samuëlle Dilé. Pour ce faire, la pédagogie mobilisée se doit de respecter au moins deux éléments. D’une part, il s’agit de donner de la visibilité sur les objectifs, les étapes, les attendus, les moyens matériels et humains, dans un cadre donné (consignes). D’autre part, il est central de proposer des activités qui permettront d’activer le processus cognitif itératif : confrontation avec les connaissances précédentes, évolution des représentations, lutte contre les biais… Les techniques pédagogiques concernées sont plurielles : classe inversée, exercices de résolution de problèmes, synthèse ou compilation de connaissances. « Ceci nous renvoie aux théories de l’autodétermination telles qu’elles ont été développées par d’Edward L. Deci et Richard M. Ryan, notamment dans l’ouvrage Self-Determination Theory, paru en 2018. Elles sont également à rapprocher des travaux d’Albert Bandura ou de Jean Guichard sur la mise en activité du sujet. Ces différents travaux démontrent que des personnes disposant d’aptitudes identiques pourront obtenir des niveaux de performance très variés selon les variations de leurs croyances d’efficacité personnelle », explique Samuëlle Dilé.

L’apprentissage, processus riche en leviers

Le processus d’apprentissage évolue. Il s’affirme, s’ajuste, se précise à travers ses dimensions itérative, progressive et réflexive. Afin d'amener l’apprenant d’un point A à un point B, il s’agit de lui proposer des activités qui favorisent l’expérimentation multisensorielle, émotionnelle et grégaire à travers des ateliers d’expérimentation ou de simulation, des jeux, des débats d’idées, des œuvres collectives. Il s’agit de mettre en œuvre et de faire vivre un cadre sécurisant afin que cet apprenant ose l’inconnu, le tâtonnement, l’erreur, voire l’échec… Il s’agit encore de proposer des activités qui vont permettre l’encodage mnésique, c’est-à-dire le premier processus qui intervient lors de la mémorisation d’un stimuli et qui consiste à traiter l’information perçue par les sens (plus celui-ci est approfondi, plus les processus de stockage seront complets). Il convient de favoriser l’appropriation progressive (gammes d’entraînements à plusieurs niveaux, activités de réassemblage, de reconstruction…), mais aussi de créer des espaces de verbalisation du raisonnement, de stratégie, de partage, d’étonnement. Il est question de mettre en place un système d’évaluation centré sur le chemin parcouru, de pratiquer l’art du feedback avec une intention constructive, nourrissante pour le circuit neuronal de la récompense, de favoriser la stratégie d’apprentissage libre… 

Autant d’exemples qui nous montrent combien l’action de formation est désormais très éloignée de celle de l’information. Former, c’est engager l’apprenant dans une démarche volontaire,, un chemin de découvertes et d’expérimentations plurielles dans le cadre d’un processus itératif. C’est penser en termes de rythme, de paliers, de réflexivité, de projectivité et de liberté – cette même liberté qui fait défaut au processus d’information. C’est surtout, pour les formateurs que nous sommes, centrer la pédagogie sur le comment et le pour quoi, plutôt que sur le quoi ou uniquement sur le résultat.

 

Pour en savoir plus :

Peronne de dos devant un ordinateur et portant un casque audio

Et le numérique dans tout ça ?

Si les formateurs n’ont certes pas attendu l’avènement du numérique pour développer des actions pédagogiques, il est clair que la digitalisation permet de mettre en œuvre de manière plus aisée le développement de la compétence, et donc celle de l’« apprenance ». « Les technologies numériques permettent de multiplier et de varier les formats, les rythmes des activités, mais aussi de développer l’accès à l’apprentissage asynchrone et informel », explique Samuëlle Dilé. La technologie numérique facilite la mise en œuvre de parcours ou d’activités au sein desquels l’autonomie (à ne pas confondre avec la solitude), l’évaluation à froid, l’apprentissage collaboratif ou encore la réflexivité sont facilités. Dimensions cognitive, socio affective, motivationnelle, réflexive… Les ressorts sont multiples, et la posture du formateur se réajuste. Le « sachant » fait place à l’assembleur, au coach, au facilitateur. Le formateur est « à côté de », ce qui lui permet d’éviter l’écueil informationnel pour se concentrer sur l’objectif de la formation. Ce recours au numérique n’en est qu’à ses débuts. Le développement de l’intelligence artificielle, avec par exemple un coach virtuel (chatbot) ou les méthodes d’adaptative learning, devrait être susceptible de passer de l’information à la formation grâce à plus d’interaction, d’immersion, de situations projectives et réflexives. Les apprentissages liés aux procédures ou aux gestes métiers devraient être pleinement concernés par de telles innovations.

Gravure du Moyen Age représentant des compagnons charpentiers

Le compagnonnage, technique ancestrale de formation

Le compagnonnage permet d’illustrer la différence qui peut exister entre l’action d’informer et celle de former. Professeur en sciences de l’éducation, Michel Develay rappelle que « la formation vise à aller au-delà de la prise en compte de l’individu pour s’intéresser aux personnes, dans leurs dimensions culturelles, mentales, affectives et dans leurs rôles sociaux. Il s’agit donc de penser la formation comme individualisée (avec) des temps d’accompagnement, de ‘compagnon’, qui ‘partage son pain avec’ ». Technique ancestrale notamment développée au Moyen Age, le compagnonnage a ceci de fondamental qu’il place l’apprenant au cœur d’un processus où il est à 100% acteur, non seulement pour acquérir des connaissances et des savoirs faires techniques, mais aussi pour se transformer. La pédagogie des compagnons se signale par sa dimension globale, comme le souligne Bernard de Castéra, lequel insiste sur ses « étapes d’humanité ». Car au-delà de l’apprentissage, il s’agit bien de faire évoluer l’être humain, de l’amener à devenir un homme ou une femme. Une quête d’humanité donc, qui passe par une responsabilisation affirmée et une transformation de l’être humain lui-même, dans toutes ses dimensions.

3 personnes en train de travailler en groupe

Après la classe inversée, cap sur la classe renversée !

La pédagogie innovante et active peut passer par la classe inversée, grâce à laquelle les notions théoriques sont mises à la disposition des apprenants par des moyens aussi divers que des plateformes, des vidéos ou des documents). Elle peut également être portée par la classe… renversée ! Dans ce cas, nous sortons totalement du schéma classique de la formation et aucun cours théorique n’est pris en charge par le formateur. Et pour cause : ce sont les apprenants eux-mêmes qui prennent les rênes de la formation. Scindés en groupes, ils construisent leur propre contenu pédagogique cependant que le formateur prend le rôle de l’apprenant. Objectif des groupes : présenter au formateur les travaux en mobilisant de multiples supports. Une méthode d’enseignement originale notamment portée par le professeur en biologie cellulaire et moléculaire Jean-Charles Caillez.

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