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Les organismes de formation face au défi du numérique responsable


06/12/2023
Chapô

4% : telle est la part du numérique dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Parmi celles-ci, les équipements informatiques sont ceux qui produisent le plus d’effets néfastes. Un message qui passe de plus en plus auprès des organismes de formation normands.

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Paragraphes

La notion de responsabilité numérique s’impose de plus en plus comme une composante majeure des métiers de la formation et de l’éducation. Défini par la Mission interministérielle Numérique responsable comme une « démarche d’amélioration continue qui vise à améliorer l’empreinte écologique et sociale », le numérique responsable se trouve actuellement pris dans une double injonction. D’une part, il se doit de répondre aux enjeux de dématérialisation de la société éducative (multiplication des formations de type mix-learning par exemple). D’autre part, il nécessite d’inscrire toute action dans la réduction de l’impact environnemental des pratiques numériques, dont on sait qu’elles sont exponentielles – particulièrement en raison du déploiement de l’Intelligence Artificielle et du Machine Learning.

 

Les trois piliers du développement durable

 

Comment accompagner les acteurs de la formation professionnelle sur ce chemin a priori étroit ? Afin de répondre à cette question, il convient tout d’abord de prendre la pleine mesure des contours que revêt la notion de numérique responsable. Celle-ci repose en premier lieu sur les trois piliers du développement durable : respect de l’environnement, respect de l’humain et respect de l’efficacité économique. S’inscrire dans une démarche de responsabilité numérique pour un organisme de formation (OF), cela implique donc de limiter les émissions de gaz à effet de serre, étant entendu que la fabrication d’un outil numérique (un ordinateur par exemple) génère 80% de ses impacts lors de sa phase de fabrication. Cela implique également de déployer un numérique de nature inclusive, dans le respect des droits de l’homme. Cela implique, enfin, que l’efficacité économique s’effectue avec tous les égards vis-à-vis des valeurs éthiques.

 

Se prémunir de l’ « effet rebond »

 

Ce périmètre étant défini, il s’agit également d’éviter certains écueils. L’ « effet rebond numérique » est sans doute l’un des principaux. Ce paradoxe n’est pas propre au numérique et peut être énoncé de la manière suivante : plus une société se trouve en prise avec des améliorations technologiques qui en améliorent l’efficacité, plus la consommation totale s’accroit. Pour l’exprimer autrement, les bénéfices écologiques réalisés grâce à des produits de plus en plus écoconçus entraînent une augmentation de la demande pour ces produits coûtant moins chers… Énoncée dès le XIXe siècle au moment où le charbon était exploité de manière plus efficace, cette dynamique se retrouve notamment dans la téléphonie mobile du XXIe siècle : alors que la masse physique d’un téléphone portable a été divisée par 4 entre 1990 et 2005, la masse totale des téléphones utilisés a été multipliée par 8.

 

Des OF normands qui s’engagent

 

Dans un tel contexte, de plus en plus d’acteurs normands s’engagent en faveur de démarches éco-responsables. C’est le cas notamment de l’association d’insertion Clips Formation et d’Acséa Formation (voir interviews par ailleurs). Dans un cas comme dans l’autre, ces structures travaillent avec du matériel informatique reconditionné. L’une et l’autre agissent également avec une personne référente sur la question du numérique responsable : une éco-déléguée au sein de Clips Formation, une référente numérique chez Acséa. Chez Clips comme chez Acséa, c’est du terrain que l’impulsion est venue, avec toutefois quelques variantes. « Il y a une sensibilité (au développement durable) propre à chacun d’entre nous », explique ainsi Hugo Joret, le coordinateur numérique de Clips Formation. « C’est venu de manière progressive », indique pour sa part Martine Thomasset-Mullier, cheffe de service chez Acséa. Au sein de cet organisme de formation dédié au développement des compétences au service d’une insertion professionnelle durable, il a fallu convaincre certains membres de l’équipe de direction. C’est sans doute à ce niveau que l’acculturation demeure perfectible : si une part de plus en plus grande d’acteurs de terrain semble prête à développer une approche responsable du numérique, les dirigeants des OF doivent encore être convaincus.

 

Une acculturation en cours

 

« Actuellement, des efforts sont indéniablement effectués mais je n’ai pas le sentiment que le thème du numérique responsable soit au coeur de la stratégie d’une majorité d’organismes de formation », analyse de son côté Samuëlle Dilé, experte en pédagogie multimodale. « Certes, des OF à dimension sociale expriment une sensibilité éco-responsable. Pour autant, la plupart des structures de formation ont encore le sentiment d’avoir engagé une démarche avec l’intégration du numérique dans les parcours de formation. Et pour cause : les organismes de formation ont longtemps fonctionné selon le modèle du tout présentiel, qui impliquait beaucoup de déplacements et donc un coût important en termes d’émissions. » 

 

Néanmoins, les initiatives que nous pouvons voir en Normandie témoignent d’une prise de conscience. « En effet, d’un certain point de vue nous voyons que la réflexion est en cours, à l’image d’ailleurs de ce qui se passe au sein de la société. L’éco-citoyenneté, les gestes du quotidien que l’on ajuste, tout cela montre que nous sommes collectivement engagés dans une modification de nos manières de faire, comme nous l’avons fait il y a quelques années avec le tri des déchets », conclut Samuëlle Dilé. 

Soutenu par les politiques publiques régionale et étatique, un changement est bel et bien en train de s’amorcer. Il devrait, dans les mois et les années à venir, gagner progressivement du terrain dans le secteur de la formation.

 

Pour en savoir plus :

 

(Image by katemangostar on Freepik)

 

Portrait photo Hugo JORET

« Une sensibilité pour le numérique responsable, mais aussi une logique économique »

Vous êtes coordinateur numérique chez CLIPS Formation, une association engagée sur le numérique responsable. Quelles sont vos missions ?

Hugo Joret : CLIPS Formation est une association loi 1901 créée en 1985 dont le siège est situé à Lillebonne et qui est présente sur deux autres sites de la région. L’anagramme CLIPS signifie Comité Local pour l’Insertion Professionnelle et Sociale. Nous sommes labellisés Atelier de Pédagogie Personnalisée (APP) depuis 1986 et regroupons une trentaine de personnes en Équivalent Temps Plein (ETP). Nos missions consistent à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes privées d’emploi ou salariées, à développer les compétences de ces personnes en vue de l’accès à l’autonomie dans la vie quotidienne, et à les accompagner dans leurs projets de reconversion ou d’orientation. Nous prenons ainsi en charge 1500 personnes chaque année. Pour ma part, je suis coordinateur numérique, ce qui m’amène notamment à administrer les plateformes pédagogiques et à gérer le parc de matériel numérique.

Dans quelle mesure Clips Formation déploie-t-il une approche numérique responsable ?

H. J. : Nous sommes particulièrement attentifs sur plusieurs aspects. D’abord, 90% du matériel informatique que nous achetons est reconditionné. Ensuite, lorsque le matériel est obsolète nous l’évidons entièrement avant de l’acheminer chez un recycleur, un chantier d’insertion avec qui nous sommes partenaire par ailleurs. Nous avons également nommé en interne une éco-déléguée qui est chargée de sensibiliser nos apprenants et nos collègues. Nous avons récemment participé au webinaire organisé par la Région autour du numérique responsable : je pense que nous ne sommes pas si loin du niveau du label « Numérique Responsable » de niveau 1. Nous avons d’ailleurs contacté l’agence Lucie pour engager les démarches qui permettront l’obtention du label NR1. Ma direction et moi-même avons également participé à plusieurs ateliers du GIEC normand, dont celui sur le numérique responsable qui a permis la création d’un support de sensibilisation. Celui-ci est désormais affiché dans tous nos centres de formation.

Quelles sont vos motivations à travers ces démarches ?

H. J. : Les raisons sont diverses. Il y a d’abord une sensibilité propre à certains d’entre nous, en lien avec la transition et le développement durable. Nous poursuivons également une logique économique. L’achat de matériel reconditionné nous fait réaliser des économies importantes, en plus d’être un joli geste ! Quant au chantier d’insertion qui recycle notre matériel, il s’agit de CLIPS Ressourcerie, une entité propre qui est lié à CLIPS Formation et avec laquelle nous sommes en partenariat. Au-delà de tout cela, je voudrai dire que nous sommes intéressés par tous les échanges qui concernent cette thématique du numérique responsable. Les rencontres qui sont favorisées par la Région sur ces thématiques nous intéressent. Il nous semble vraiment important de prendre part à une réflexion collective.

 

Pour en savoir plus :

. Le label NR

Logo Acséa Formation

« Du matériel informatique reconditionné pour nos deux salles de formation »

Marie-Laure Pouard  et Martine Thomasset-Mullier, vous êtes toutes deux cheffes de service chez Acséa formation : pouvez-vous nous présenter votre structure ?

Marie-Laure Pouard : Acséa Formation est installé dans le Calvados sur sept sites qui emploient une soixantaine de salariés. Depuis 1982, nous développons des formations centrées sur le développement des compétences au service d’une insertion professionnelle durable. Nous nous inscrivons dans le champ de l’économie sociale et solidaire et nous nous adressons à toutes les personnes qui sont en recherche d’emploi : des personnes en situation de reconversion professionnelle, des salariés, parmi lesquels se trouvent des apprentis…

Dans quelle mesure la question du développement durable s’inscrit-elle dans votre approche numérique ?

Martine Thomasset-Mullier : Au sein des sites du Calvados nous bénéficions des compétences d’une référente numérique. Nous nous sommes d’ailleurs appuyés sur le travail de réflexion réalisé par Communotic pour définir son périmètre d’action… Cette collègue joue donc un rôle d’intermédiaire entre l’équipe pédagogique et celle des SI, met en œuvre des actions d’amélioration continue, communique en interne auprès des formateurs… C’est dans le cadre de cette mission que l’on a proposé à notre conseil de direction de travailler avec l’entreprise de recyclage AFB, principalement en lien avec le matériel informatique qui se trouve dans nos deux salles de formation.

Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte est né le projet ?

Martine Thomasset-Mullier : Il est né de manière progressive. J’ai eu à organiser l’an dernier une opération de formation développée pour le Pays d’Auge : je n’avais pas d’ordinateurs et nous avons pu en obtenir grâce à l’entreprise AFB. Cette structure est présente au niveau national et a un magasin situé dans la galerie marchande de Mondeville. La convention de prêts de PC portables que nous avons signée m’a permis de faire la connaissance de sa directrice, Amélie Barbier. Nous nous sommes rencontrées après avoir conclu notre partenariat sur le Pays d’Auge. C’est alors que j’ai pris connaissance du processus de collecte et de reconditionnement, et saisi l’intérêt que nous avions à travailler avec AFB. Celle-ci récupère du matériel informatique avant de travailler à sa remise en activité après avoir effectué toutes les opérations de nettoyage et de sécurisation des données qui s’imposent.  Je dois aussi dire que j’ai particulièrement apprécié l’intelligence de cette entreprise, qui n’a pas engagé avec nous un démarchage financier mais respecté notre démarche d’ensemble. 

Vous avez dès lors décidé d’aller plus loin en achetant du matériel reconditionné : c’est bien cela ?

Martine Thomasset-Mullier : Tout à fait. Nous venons de recevoir, mi-octobre, 24 ordinateurs reconditionnés pour nos salles de formation. Auparavant, il a tout de même fallu que l’on défende ce projet auprès de l’équipe de direction. Tout le monde n’était pas convaincu par cette option de matériel reconditionné : certains craignaient pour la sécurité, d’autres avaient un peu peur que le matériel n’ait pas un design très moderne…

Comment avez-vous fait pour les convaincre ?

Martine Thomasset-Mullier : Par l’explication, par la pédagogie et aussi par une visite sur site. Nous sommes allés chez AFB en équipe, et chacun a pu se rendre compte que nous étions finalement dans un magasin informatique classique. Certes, il peut y avoir ici ou là une petite griffure sur une tour d’ordinateur, mais ce qui est certain c’est que nous avons affaire à du matériel performant et sécurisé à 100%. Les ordinateurs que nous avons acquis sont surtout utilisés pour effectuer des travaux habituels de traitement de texte ou d’écriture, c’est-à-dire globalement pour des logiciels bureautiques. C’est du matériel classique.

Dans quelle mesure cette démarche fait-elle évoluer votre approche en termes de responsabilité numérique ?

Marie-Laure Pouard : L’approche que nous avons permet vraiment de nous ancrer dans la dimension durable du numérique. C’est donc un point positif pour nous, en interne. Mais j’y vois aussi autre chose. Le fait de faire travailler nos stagiaires sur du matériel reconditionné a des vertus éminemment pédagogiques : cela montre à ce public que le reconditionné fonctionne très bien et peut être tout à fait fiable. C’est d’autant plus important que certains de nos stagiaires ont des difficultés financières pour s’équiper… Avec nous, ils peuvent constater que le matériel reconditionné est tout à fait performant.

Martine Thomasset-Mullier : Et puis nous bouclons aussi une boucle ! Nous avons certes acquis du matériel numérique reconditionné, mais nous avons aussi transmis nos anciens ordinateurs à une entreprise de recyclage. Nous avons en quelque sorte enclenché une dynamique. Celle-ci nous mènera peut-être à aller progressivement vers d’autres démarches, notamment vers celles qui consistent à alléger les boites mails de ces centaines de messages qui se révèlent très consommateurs en énergie. Nous pouvons tout à fait engager ce type de projet à l’avenir… 

 

Pour en savoir plus sur le groupe AFB.

 

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