Formation Multimodale - de quoi parle-t-on ?

De la réalité virtuelle au Métavers : des mondes virtuels au service de la formation


12/07/2022
Chapô

L’univers de la formation professionnelle s’ouvre de plus en plus aux mondes immersifs. En quoi ces univers virtuels sont-ils en capacité de mettre en mouvement l’être humain ? De quelle manière les formateurs et les apprenants peuvent-ils en bénéficier ? Ce dossier entend répondre à quelques-unes des questions qui se posent actuellement, clarifiant au passage certaines notions.

Illustration d'une personne avec un casque de réalité virtuelle
Paragraphes

Il s’agit d’une véritable déferlante : réalité virtuelle, réalité augmentée, métavers, réalité étendue… Les mondes immersifs s’installent de plus en plus dans l’univers de la formation professionnelle, sans que l’on sache toujours très bien de quoi l’on parle. En quoi ces technologies immersives peuvent-elles impacter les apprentissages ? Quel est l’état actuel du marché, et où se situe la filière française ? 

Aux origines des mondes immersifs : de Sensorama au métavers

Si l’usage des environnements immersifs se démocratise actuellement de plus en plus, le concept n’est pas nouveau et puise son origine dans les années d’après-guerre. L’une des premières personnes à avoir eu l’idée de placer un être humain dans un environnement virtuel est le cinéaste Morton Heilig. En 1955, celui-ci émet l’idée d’un appareil multisensoriel dont il présentera le prototype en 1962. Appelé Sensorama, il se présente comme une borne d’arcade avec une chaise simulant les mouvements, un écran stéréoscopique et une soufflerie. À la même époque, d’autres outils prennent forme, à l’image de la première souris (Douglas Engelbart), de l’interface graphique, de l’hypertexte, de l’éditeur collaboratif en temps réel ou du Sword of Damoclès, le tout premier casque de visualisation télescopique développé en 1966 par Ivan Sutherland. La technologie progressant, une notion se cristallise progressivement avant d’être conceptualisée dans les années 1980 : celle de « Virtual Reality », introduite par le compositeur, essayiste et chercheur informatique américain Jaron Lanier. Celle-ci s’accompagne d’un idéal notamment repris par le fondateur du métavers Second Life, Philip Rosedale, qui déclarait en 2003 – au moment du lancement du projet – que « les mondes virtuels contribueront à rendre notre monde meilleur ». Un récit aux accents utopistes, où la science-fiction rejoint l’innovation, et que l’on retrouve aujourd’hui à travers les prises de parole de certains acteurs du marché tels que Marc Zuckerberg.

Le monde virtuel en pédagogie

Comment appréhender et définir ce qu’est le monde virtuel en pédagogie ? Dans son blog, l’ingénieur pédagogique Jean-Paul Moiraud la définit ainsi : « le monde virtuel de simulation est un monde en trois dimensions (3D) créé à l’aide d’un logiciel et d’une programmation spécifique. » Ce monde se présente comme une représentation de lieux mais il peut tout aussi bien être « une construction purement imaginaire élaborée dans le cadre d’une démarche plastique ». Sa caractéristique première est la suivante : il permet à « un groupe de personnes éclatées géographiquement et placées en situation immersive d’interagir. Les acteurs du dispositif peuvent, à l’aide d’avatars, d’objets ou d’une vue subjective, parler, écrire, gérer des attitudes corporelles, se déplacer, y-compris en s’affranchissant des lois physiques du monde réel. » Ce groupe partage en son sein un objectif commun, pour ne pas dire un projet plus ou moins formellement élaboré, celui d’acquérir des savoirs comme des compétences en reproduisant des situations connues. À noter que ce projet s’inscrit également dans le réel, étant entendu que « le virtuel fait partie du réel », ainsi que l’indique par ailleurs Philippe Quéau, ancien responsable du groupe de recherches sur la télévirtualité et fondateur du programme Imagina.

L’être immergé : un changement de nature psychologique

Que se passe-t-il chez l’être humain lorsqu’il se trouve immergé dans un environnement en réalité virtuelle,  au sein duquel l’immersion est corrélée à un apprentissage ? Le changement est d’abord et avant tout de nature psychologique : l’immersion a des effets sur la perception de l’être humain, laquelle se trouve partiellement faussée. Voix, odeurs, sons, toucher… Une partie des éléments qui nous connectent avec notre environnement géographique réel reçoivent des informations nouvelles, lesquelles occultent le contexte dans lequel nous nous trouvons. Il faut également savoir que dans cet espace virtuel immersif, le comportement de l’être humain se fait en général en reproduisant naturellement les schèmes comportementaux préexistants, en écho à sa propre expérience du réel. Manier un objet tel qu’un verre dans un monde virtuel peut illustrer cette reproduction spontanée, et l’expérience est d’autant plus efficace qu’elle peut être perçue comme crédible du point de vue sensoriel.

Quelles opportunités et quelles menaces sur la conception pédagogique ?

De telles connexions ne sont pas sans conséquences sur la manière de concevoir nos apprentissages. Les environnements virtuels immersifs présentent en effet des atouts, mais également certains éléments de faiblesse. Afin de bien en distinguer les contours, prenons comme cadre d’analyse une classique grille FFOM (forces, faiblesses, opportunités, menaces). 

Sens, compréhension, projection, sécurité : les mondes immersifs déployés en pédagogie présentent d’indéniables forces. « Pour un apprentissage transférable et durable, les conditions de l’apprentissage doivent favoriser plusieurs dimensions dans leurs stratégies, méthodes et accompagnements », analyse Samuëlle Dilé, experte en pédagogie multimodale et en sciences cognitives. « Celles-ci tournent autour des éléments suivants : vouloir, pouvoir, oser apprendre, nourrir les besoins de sens, sécuriser et projeter ». Dans de telles conditions, les technologies et les mondes immersifs permettent d’apprendre un geste ou un mouvement en toute sécurité, en favorisant de surcroît l’engagement de l’apprenant. Mais ces dispositifs sont également porteurs de limites, à commencer par la notion de crédibilité. Comme nous l’avons expliqué précédemment, toute expérience vécue virtuellement se doit d’être réaliste pour le cerveau humain. C’est ici qu’intervient le niveau de précision et de justesse de la réalité virtuelle : il est important que le graphisme (la vision), le son, la fluidité des mouvements mais aussi la dimension sensorielle et tactile soient au rendez-vous, ce qui n’est pas toujours le cas (a titre d’exemple : la perception d’un objet n’est pas toujours crédible en terme de sensation telle que le poids). Certaines opportunités nouvelles existent toutefois, comme l’a montré le dernier salon Laval Virtual Europe 2022. Nous avons pu y noter cette année combien les technologies immersives avaient franchi un cap : plus réalistes, plus interactives, plus précises, elles ouvrent indéniablement de nouvelles frontières. Dans l’entretien qu’il nous a accordé (voir encadré ci-après), Jean-Luc Peuvrier nous explique d’ailleurs combien la démocratisation est en cours, concernant à la fois les équipements et les applicatifs (à l’image par exemple des outils auteurs accessibles aux ingénieurs pédagogiques : Uptale, Revinax ou Wixar). Sommes-nous en train de passer du stade de l’expérimentation à celui de la concrétisation ? C’est possible, à la condition bien sûr que les menaces ne viennent pas gripper cette dynamique. « Au démarrage du Digital Learning, nous avons vu que des contraintes existaient en termes de moyens, de temps de conception et de production », rappelle Samuëlle Dilé. « Pour les organismes de formation comme pour les institutions, ce sont des facteurs clé à observer de près actuellement ». N’oublions pas non plus la dimension des impacts psychiques, sur lesquels nous avons encore peu de recul et qu’il conviendra progressivement de mesurer…

Forte mobilisation de la filière française

Pour autant, il existe d’ores et déjà un marché du monde immersif en formation. Celui-ci se caractérise par son expansion. Longtemps considéré comme une niche, il s’ouvre désormais à de nouveaux clients, en lien avec les usages émergents. Dans le domaine médical ou dans le secteur de la sécurité, nous voyons ainsi le nombre de formations se développer de plus en plus. Selon les services de l’Etat, nous assistons par ailleurs à une croissance mondiale structurée autour de trois segments de marché : le matériel (casques de RV, lunettes, systèmes haptiques…), les outils de conception et plateformes de diffusion, et enfin la production de contenus et d’applications (dans des domaines aussi différents que le divertissement, le commerce, la santé ou l’entreprise). 

Quid des entreprises nationales ? Riche en acteurs mais également en qualité d’innovation et en créativité, la filière française se distingue particulièrement dans la production de contenus, comme l’attestent quelques-unes des nouveautés présentées lors du dernier salon Laval Virtual Europe (voir plus loin). Elle se signale également par sa structuration, avec la mise en place récente du conseil National de la XR. Ce CNXR représente d’ores et déjà plus de 500 organisations publiques et privées issues des filières scientifiques, industrielles, technologiques, éducatives et culturelles. Objectif : faire entendre une voix française et européenne face à la vision déployée par Facebook à l’automne 2021, mais également clarifier le concept du métaverse, annoncé comme le grand remplaçant de l’Internet.

On le voit : en matière de formation professionnelle, les mondes immersifs s’apprêtent à franchir une nouvelle étape de leur histoire. Celle-ci devrait faire entrer l’apprenant dans des univers nouveaux, plus sensoriels et donc plus crédibles. Mais ira-t-on un jour jusqu’à abaisser toutes les barrières qui existent naturellement entre monde réel et monde virtuel ? Sur ce point, les paris restent ouverts tant l’être humain se révèle complexe dans les interactions qu’il entretient avec son prochain…

illustration de réalité virtuelle

Quelques-unes des nouveautés du dernier Laval Virtual Europe :

Adolescent dans un écran

Distinguer le réel du virtuel : tout commence à 6 ans… et se poursuit à 12 !

De nombreux travaux et études en psychologie cognitive le démontrent, ainsi que les travaux du psychologue suisse Jean Piaget : la capacité qu’a l’être humain de distinguer le réel du virtuel s’acquiert aux alentours de l’âge de 6 ans. Les stades du développement socio-affectif sont ici en cause, raison pour laquelle le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron recommande aux parents de laisser leurs enfants manier une tablette après cet âge proche de l’ « âge de raison ». 

Quant aux environnements immersifs avec avatars (et autres technologies de nature sensorielle), ils peuvent fonctionner avec des adolescents de 12 ans au moins. Un autre âge « raisonnable », au-delà duquel l’être humain intègre mieux la différence entre réalité et virtualité immersive.

Portrait de Jean-Luc PEUVRIER

« Nous sommes entrés dans l’ère de la démocratisation des techniques d’immersion en formation »

Interview de Jean-Luc Peuvrier, directeur général de Stratice, qui a accompagné des membres de Communotic lors du dernier salon Learning technologies France.

Comment voyez-vous l’évolution des nouvelles technologies virtuelles ?

Jean-Luc Peuvrier : Nous sommes indéniablement rentrés dans l’ère de la démocratisation des techniques d’immersion en formation. Nous observons qu’il y a plus d’acteurs au niveau des équipements, et que les prix baissent. On peut également dépasser la simple expérimentation. Pour autant, sur le plan de l’équipement, il existe encore quelques contraintes : les casques demeurent lourds sur le visage, et ils restent fragiles à transporter, à manipuler...

Pour ce qui est de la conception, la démocratisation est aussi de mise. Nous voyons pointer de nouveaux arrivants qui proposent des outils interface côté créateur, désormais accessibles à des formateurs. Ces outils sont encore peu nombreux, mais déjà de qualité. Je pense notamment à Uptale ainsi qu’à Wixar.  En une journée, un formateur peut déjà apprendre à créer un environnement de réalité virtuelle.

Quelle est votre vision du métavers ?

J.-L. P. : Pour l’instant, le métavers se développe surtout dans d’autres univers que celui de la formation.  Mon avis est qu’il faut rester attentif, même si à ce jour cela reste juste un outil. Ce que l’on voit actuellement est fonctionnel : tout reste à faire au niveau des services ! À titre d’exemple, le métavers kwark education est un super campus virtuel, très bien fait, fluide… Il reste à lui insuffler de la vie ! 

L’une des questions majeures qui se posent autour des métavers c’est l’interopérabilité et la circulation entre les mondes. Notre avatar sera-t-il unique, comme dans la vraie vie physique ? Ou aurons-nous un avatar par monde, à l’image de ce qui est possible de faire sur les réseaux sociaux ?  

In fine, que pensez-vous des mondes immersifs en formation ?

J.-L. P. : En conclusion, je dirais que les mondes immersifs ont beaucoup d’avenir et, comme je l’ai indiqué d’emblée, nous entrons actuellement dans l’ère de la démocratisation au niveau des équipements. Il s’agit donc bien de demeurer à l’écoute de ces évolutions. Pour autant, n’oublions jamais que tout cela n’a de sens et de pertinence à l’usage que si les concepteurs, les formateurs et les organismes de formation intègrent des données et développent des services. Et là encore, tout reste à faire…

 

Propos recueillis par Samuëlle Dilé

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