Aspects humains

Nouvelles postures face à la multimodalité


04/07/2019
Chapô

Quels sont les impacts de la multimodalité sur les métiers de l’organisme de formation (OF) ? Nous sommes allés au-devant de 2 structures qui, en intégrant le numérique dans leurs pratiques pédagogiques ont dû ,finalement, recomposer leur offre de service et leur organisation interne...

Partage d'expérience
Paragraphes

Il s’agit de Via Formation et Réseau Canopé Normandie. Via Formation fait partie des premiers OF normands à avoir pris le virage du numérique et pensé la formation de manière multimodale. Canopé, en qualité d’opérateur du ministère de l’Education Nationale, a pour objectif d’accompagner la communauté des enseignants de la maternelle au lycée. Tous deux nous ont ouvert leurs portes, et fait part de leurs (précieux) retours d’expérience…

De ces deux témoignages, je retiens d’abord que la multimodalité a un impact considérable sur l’organisation générale des structures (référentiels métiers, besoins de pluridisciplinarité, de transversalité, de coopération, de coordination, suivi plus qualitatif sur l’expérience de l’apprenant…). Je retiens aussi des changements en termes de postures professionnelles (médiation, créativité, utilisation des méthodes du social learning, création de hackathons, humilité, induction plutôt que injonction, travail sur les « soft skills »…).

Je ne vous en dis pas plus : à vous de juger sur pièces, sur la foi des deux entretiens qui suivent !

 

 

Via Formation : « Intégrer la multimodalité impacte tous les niveaux de l’organisme »

Samuëlle Dilé :  Depuis 10 ans, la multimodalité s’est développée au sein du réseau normand de Via Formation. Ce réseau met en exergue la dimension progressive de l’intégration de la multimodalité dans ses pratiques internes : pourquoi ?

Sylvain Lalou : Nous avons très vite mesuré qu’intégrer la multimodalité avait des impacts à tous les niveaux de l’organisme : numérisation des ressources, mais aussi accompagnement du formateur et  organisation des équipes pédagogiques. L'entreprise Via Formation a élaboré une stratégie autour de la multimodalité afin de répondre, tant en interne qu'en externe, aux besoins émergents. Avant, le formateur maîtrisait l’ensemble de la chaine, de la production à l’animation, et seuls les services supports (administration, coordination…) étaient connexes. Là, on a vite vu que les compétences nécessaires ne se trouveraient plus forcément dans les mêmes profils, et qu’il fallait repenser les métiers de la pédagogie multimodale autour d’axes : techno/pédago, expertise, tutorat/animation, coordination/gestion…

S. D. : Pourriez vous détailler ce que cette répartition cache en termes de profils et de compétences nécessaires ?

S. L. : La dimension techno-pédago nécessite d’être portée par un « Référent numérique » : c’est ce que je suis. Cela nécessite une double compétence, à la fois pédagogique et avec une forte appétence pour le numérique. Mon rôle est de faire des « ponts »,  traduire les objectifs pédagogiques techniquement – et inversement. Je dois aussi accompagner les formateurs-concepteurs. Ceci nous a amené à élargir ma mission à un poste de « Chargé du numérique et de technologies appliquées ». Nous assistons nos formateurs en les aidant techniquement : accompagnement, assistance, recherche, mise en œuvre de solutions innovantes…

S. D. : Qu’en est-il de la dimension pédagogique ?

S. L. : Les choses ont aussi évolué sur ce point. Hier, dans l’organisation Via Formation, les formateurs étaient tous pour la plupart experts d’une ou plusieurs matières…  Aujourd’hui, avec la multimodalité, les rôles sont davantage spécialisés par nature de mission. Par exemple :

  • le formateur d’expertise est le véritable spécialiste d’un sujet;
  • le formateur pluridisciplinaire vient compléter une équipe pédagogique pour assurer l’animation et la remédiation ;
  • le formateur multimodal va produire les cours ;
  • le formateur animateur va plutôt animer des ateliers présentiels, des activités en mode projet.

Il n’y a plus un « sachant » qui fait tout mais bel et bien une équipe pluridisciplinaire.

S. D. : Intéressant ! En fait, il semble que la dissociation des métiers/compétences de l’équipe pédagogique concerne plus les formateurs experts d’un domaine, d’un thème, d’une matière que ceux qui agissent sur la forme (numérisation, animation, interaction). Ce changement est-il simple à mettre en œuvre ?

S. L. : Cela nécessite du temps, de l’échange, des tâtonnements… mais aussi un changement de posture du formateur, qui passe d’une approche « dominante » (le contenu est au centre de la pédagogie) à une approche « ressource » (le contenu est une ressource sur laquelle il faut s’appuyer). Il n’est pas toujours simple d’amener les formateurs à évoluer dans ce sens. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’anime, depuis 4 ans, une formation pour le CARIF-OREF de Normandie, intitulée « créer, gérer un parcours multimodal ». Nous intervenons aussi sur des modules multimodalité pour les titres professionnels de formateur professionnel d’adultes des AFPA Normandie.

S. D. : Justement : comment faites vous pour faire travailler ensemble une équipe pluri-disciplinaire ? J’imagine qu’il faut trouver de la cohérence, une convergence, une complémentarité pour l’apprenant ?

S. L. : Nous avons créé une communauté de pratiques en interne pour les formateurs afin de favoriser le partage, la mutualisation, la co-construction. Une personne de mon équipe anime cette communauté. Je coordonne pour ma part les actions qui sont liées à l’informatique et au numérique.Ce domaine étant en développement constant, les références et compétences se développent tout autant. Ainsi nous avons dupliqué le rôle de référent numérique et accompagnateur des actions de formation en multimodalité.

S. D. : Pour conclure quelles seraient les recommandations que vous adresseriez à un OF qui veut se lancer dans la multimodalité ?

S. L. : Je dirais qu’il faut avoir conscience que le changement impacte inévitablement l’organisation globale. Un ensemble d’actions sont à effectuer :

  • créer un poste de « référent numérique » ;
  • spécialiser l’équipe autour de la pédagogie multimodale par appétence ;
  • penser l’organisation en termes de « services » sans négliger dans la réflexion amont tous les impacts sur l’accompagnement de l’apprenant ;
  • créer une organisation temporelle fixée sur les objectifs de compétences… ;
  • mettre en place des « tiers lieux », des centres de ressources, des ateliers projets ;
  • créer et animer une communauté pédagogique pluridisciplinaire ;
  • mettre en œuvre un plan de formation et de professionnalisation progressif des équipes internes.

C’est un processus qui se construit dans le temps.

Réseau Canopé Normandie : Vers une révolution culturelle des pratiques !

S. D. : À l’origine, on connaissait Réseau Canopé en tant que CRDP, centre régional de documentation pédagogique. Depuis 2014, il semble que sa mission a évolué vers l’interaction, via les « ateliers Canopé ». De quoi s’agit il ?

Delphine Gruchy : Au-delà de l’accès aux ressources numériques, les enseignants avaient besoin d’un lieu physique pour apprendre, échanger, penser de nouvelles modalités pédagogiques, loin de leurs établissements. Réseau Canopé a donc créé un lieu par département, afin de favoriser ces interactions.
En Normandie, nous avons développé les « ateliers Canopé » grâce auxquels les enseignants peuvent s’appuyer sur des « Designers pédagogiques », des « animateurs/conseillers ». Nous avons créé des offres « hors les murs » pour intégrer la multimodalité pédagogique. Pour cela, nous nous appuyons sur la plateforme nationale Magistère qui propose des ressources formatives aux enseignants, nous avons mis en place 2 MOOCs, organisons et animons localement des temps de rencontres à thèmes (par exemple sur l’accueil des parents) et avons une approche de « learning lab », ouverte aux enseignants, aux parents, aux partenaires extérieurs. Ce « learning lab » est flexible, multimodal, digital, physique et « hors les murs » …
Pour résumer je dirais que notre mission consiste à être des facilitateurs.

S. D. : Opérer cette évolution de Canopé a dû nécessiter un vrai changement interne…

D. G. : Ah oui ! Le réseau a mis en place un Plan National de formation pour faciliter et accompagner le personnel interne notamment au niveau du changement de posture. L’enjeu était de développer une polyvalence autour des thèmes, des savoirs faire, des compétences métiers. Les personnels Canopé sont issus de l'éducation nationale, de l'enseignement agricole, des GRETA et sont formés à être des médiateurs, ce qui en soi est un changement de posture radical.

S. D. : Combien de temps vous a-t-il fallu, et comment la transition a-t-elle été ressentie ?

D. G. : Ce changement de posture en interne a été rapide, grâce au Plan National de formation qui nous a permis d’acquérir les techniques de créativité, de co-design. Certains ont développé des compétences en sketchnoting...toutes compétences visées par le référentiel des compétences du XXIème siècle.
Comme tout changement majeur de posture, certains ont pris le virage et d’autres ne s’y sont pas retrouvés. Le changement a aussi fait venir d’autres personnes séduites par le changement que nous proposions. Il a été entièrement porté par nos équipes, en interne.

S. D. : Justement, comment vos équipes internes ont-elle acquis ces nouveaux réflexes, et plus largement cette nouvelle posture ?

D. G. : En plusieurs temps. Il a d’abord fallu acquérir des compétences informelles et transversales – collaboration/coopération, créativité… – qui sont parmi les plus importantes. Ensuite, nous avons poursuivi avec les compétences interrelationnelles (bienveillance, assertivité, entraide…), que l’on appelle les « soft skills ».

S. D. : Quels ont été les freins, les sujets les plus difficiles à mettre en œuvre dans le cadre de vos « learning labs » ?

D. G. : Je dirais qu’il y a trois enjeux. Le processus d’évaluation, tout d’abord, doit être plus collaboratif : il faut aller vers l’évaluation par ses pairs, développer une pédagogie de l’entraide. Le second enjeu est lié au processus de suivi : il faut développer la culture du partage dans notre milieu. Le troisième enjeu est celui de la mutualisation : nous avons trop tardivement mis en place une communauté professionnelle de pratiques pour les enseignants, lesquels s’étaient déjà approprié des outils au sein de leurs propres établissements…
Nous avons sur dépasser le CRDP, orienté documentation : aujourd’hui nos services sont ouverts. Il faut continuellement nous ouvrir à différents publics, et si possible à Caen travailler avec d’autres acteurs qui proposent des prestations similaires. Se démarquer en tant que « learning lab » est un enjeu, notamment pour écouter les signaux faibles de l'évolution de la formation pour les structures éducatives. Nous sommes en créativité permanente !

 

Article écrit  par Samuelle Dilé, en partenariat avec Stratice, à partir de 2 entretiens : Syvain Lalou, référent numérique chez Via Formation et Delphine Gruchy, directrice d'ateliers, animatrice du Learning Lab de Caen -  Canopé Normandie.

Article publié sous la licence    Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification

 

 

 

Pour poster un commentaire, veuillez vous identifier.

Connexion