Aspects humains

Multimodalité et écologie de la mémoire


16/09/2013
Chapô

Les connaissances scientifiques dont nous disposons au sujet de la mémoire nous permettent d'affirmer que la multimodalité est un processus pédagogique qui respecte les mécanismes et l'écologie mnésiques, et donc un apprentissage efficient. Laissez-moi vous expliquer pourquoi...

Mémoires
Paragraphes

Avant toute chose, il est indispensable de rappeler ce qu'est la mémoire. Ou plutôt en quoi consistent les différentes mémoires. En effet, l'être humain dispose de trois types de mémoire : la mémoire sensorielle, la mémoire à court terme et la mémoire à long terme.

La mémoire sensorielle est, comme son nom l'indique, celle des sens (ouïe, vue). Elle est si courte (d'un quart de seconde à 3 secondes) qu'elle ne se révèle que très peu importante dans l'apprentissage.

La deuxième mémoire est la mémoire à court terme. C'est la mémoire vive de notre cerveau. Elle est aussi appelée mémoire de travail car elle est comme un espace vide dans lequel déposer et organiser des informations nouvelles. Cette mémoire à court terme s'efface toutes les 20 secondes et sa capacité est limitée à 7 éléments ou items. Si on vous donne une longue liste de mots que vous ne connaissez pas, vous en retiendrez environ 7 lors de la première lecture...

La troisième mémoire, la mémoire à long terme (notre disque dur), se subdivise en deux grandes catégories : la mémoire non déclarative (implicite) et la mémoire déclarative (ou explicite).

La mémoire implicite est celle qui fait remonter automatiquement et inconsciemment des informations de type procédural (faire du vélo, nager, jouer à un jeu vidéo& ) ou ce qui tient du réflexe (freiner en cas de danger, avoir peur dans telle ou telle situation, serrer son sac à main dans un lieu où on se l'est déjà fait arracher& ).

En matière d'apprentissage, c'est davantage la mémoire déclarative ou explicite qui nous intéresse.

Comment fonctionne la mémoire à long terme ?

La mémoire déclarative comporte une zone de mémoire lexicale. Dès qu'une information sensorielle dépasse quelques secondes, les données visuelles et auditives se combinent en un mot nouveau. Celui-ci s'inscrit alors dans la mémoire lexicale, où sont emmagasinés tous les mots possibles. Mais cette mémoire lexicale ne sert qu'à se souvenir de la carrosserie des mots (orthographe). Le lexical ne comprend pas le mot ! Pour apprendre et retenir des connaissances qui font appel à la mémoire lexicale (orthographe, prononciation des mots étrangers), pas d'autre solution que de les apprendre PAR COEUR !

Si vous êtes sollicité sur le sens des mots, c'est alors à votre mémoire sémantique, autre type de mémoire à long terme, qu'il faut faire appel. C'est là que sont rangés les concepts, les idées, les notions, les catégories. C'est là que vous disposez de toutes les données concernant un mot : jaune + ovale + amer + zest + nourriture + plaisir (mémoire sémantique) = citron (mémoire lexicale). Dans ce cas, l'apprentissage par catégorie, par plan, est très efficace. La hiérarchie ainsi constituée permet de ne faire remonter que des notions depuis la mémoire sémantique. Une fois la notion remontée, il n'y a plus qu'à aller piocher dans la mémoire lexicale ! Ce processus libère de la place dans la mémoire à court terme. D'où l'on peut en déduire que plus on a de connaissances lexicales, plus on dispose de place pour emmagasiner de nouvelles informations et plus on a de place dans la mémoire à court terme pour faire remonter d'autres concepts, pour les relier entre eux, pour déduire le sens des mots inconnus, en un mot pour raisonner. Plus on a de mémoire lexicale, plus la mémoire sémantique se développe et plus on a de place pour apprendre : c'est une spirale positive ! Plus on apprend, mieux on apprend !

De l'utilité de la multimodalité

Enfin, dans la mémoire à long terme, on trouve le dernier type de mémoire, celui qui nous intéresse le plus quant aux vertus de la multimodalité : la mémoire épisodique. Dans ce cas, très répandu chez les bambins, le nom (lexical + sémantique) a été enregistré en association avec un épisode de la vie, avec des images, des émotions, des sensations.... Chez les adultes aussi, les mots, les concepts, sont reliés à un ou plusieurs épisodes précis, de la vie ou de l'apprentissage (qui fait partie de la vie). Or, pour ancrer le mot et son sens dans la mémoire sémantique, le processus est lent, long, et repose sur la création de sens (synonyme, remise en forme avec ses propres mots& ) et le renforcement par des données, des apports personnels (exercices, recherches complémentaires, émotions, souvenirs, moyens mnémotechniques), qui serviront au moment venu d'indices de récupération. La mémoire épisodique est alors mise à contribution et un apprentissage multiépisodique se révèle indispensable. En effet, le cerveau n'apprend jamais en une fois, il a besoin d'étapes pour que les connexions qui font l'apprentissage durable se réalisent. Il lui faut donc des répétitions multiépisodiques, des répétitions à la fois identiques (dans le fond) et diverses (dans la forme). Et c'est là que la multimodalité prend toute sa dimension : cours présentiel + e-learning + TP + vidéo + retour d'expérience + discussions sur les réseaux sociaux& par exemple.

 En conclusion : apprendre, c'est mémoriser

Apprendre, c'est faire travailler ensemble les différents types de mémoire pour ancrer durablement une information : recevoir l'information, apprendre sa forme, lui donner du sens en favorisant sa répétition multiépisodique. Dans un apprentissage, et malgré beaucoup d'idées reçues, expliquer ne suffit pas !

Reste à faire remonter les connaissances au moment voulu, en utilisant des indices de récupération pour retrouver sa route dans cette immense bibliothèque qu'est la mémoire : plan, parcours mental, moyens mnémotechniques& Par exemple, pour donner l'ordre des planètes, on ne retient pas les neuf planètes (9 items donc ça ne rentre pas& ), mais une phrase (1 item) : « Me voici tout mouillé, je suis un nageur pressé » (Mercure-Vénus-Terre-Mars-Jupiter-Saturne-Uranus-Neptune-Pluton). Avec ces raccourcis, la tentation peut être grande de n'apprendre que les résumés.

Or ce résumé n'est qu'un plan d'assemblage des indices de récupération des données apprises dans le cours.

Si vous n'avez pas appris le cours au préalable, votre cerveau ne saura pas où aller chercher les connaissances& car elles n'existent pas !

 

 Ouvrages sur la mémoire :

- Le livre de la mémoire, Alain Lieury

- La mémoire : résultats et théories, Alain Lieury

- Mémoire et réussite scolaire, Alain Lieury

- Une mémoire pour apprendre, Cécile Delannoy

- Votre mémoire. La connaître, la tester, l'améliorer, Bernard Croisile

 
 
"Continent sciences", l'émission de France Culture, recevait Alain Lieury.
 

Pour poster un commentaire, veuillez vous identifier.

Connexion