À Saint-Rémy-sur-Orne, un tiers-lieu innovant pour animer le territoire rural


29/03/2024
Chapô

Nous poursuivons ce mois-ci notre série d’interviews liée à l’appel à projets « Normandie Connectée - nouveaux espaces de compétences – Deffinov », sur lequel la Région a statué fin 2023. Troisième entretien avec David Lecuyer, directeur du projet territorial La Mine Nouvelle et en charge du projet Le Kreuzet.

Photo D. Lecuyer et S. Ladan
Paragraphes

La mairie de Saint-Rémy-sur-Orne, village de 1000 habitants et ancienne cité minière, est cheffe de file d’un projet baptisé Le Kreuzet. Celui-ci vise à créer un tiers-lieu en milieu rural autour du travail et des compétences. Comment cette idée a-t-elle mûri ?

 

David Lecuyer : Pour comprendre ce dont il est question, il convient en premier lieu de replacer notre initiative dans son contexte local. Au cours de l’année 2022, la mairie de Saint-Rémy-sur-Orne – et notamment son maire, Serge Ladan – a structuré un projet de territoire communal appelé « La Mine Nouvelle – Le Faire Ensemble ». L’ambition a d’emblée consisté à faire de ce petit territoire qu’est la commune un laboratoire d’expérimentations rurales. Je conjugue ces termes au pluriel car il s’agit bel et bien d’un projet global, à la fois culturel, social et économique, lié à l’innovation, à l’habitat ou encore à la formation professionnelle. Le point de départ de la réflexion menée par Serge Ladan, les élus locaux et moi-même est lié à l’attractivité. Saint-Rémy-sur-Orne est située à côté de deux communes bien identifiées : Clécy, où l’on trouve une forte activité touristique, et Thury-Harcourt-Le-Hom, qui avec ses 3500 habitants est une centralité historique du territoire. Nous avons œuvré afin d’affirmer une identité en propre, reposant sur le travail et les compétences, au sein d’un tiers lieu rural innovant baptisé Le Kreuzet – Incubateur Rural.

 

À quelle échéance ce tiers-lieu du Kreuzet est-il appelé à sortir de terre ?

 

David Lecuyer : Le bâtiment qui hébergera Le Kreuzet est attenant au centre culturel Les Fosses d’Enfer, et doit faire l’objet de rénovations énergétiques et d’aménagements intérieurs d’ici la fin de l’année. L’appel à projet Deffinov de la Région Normandie, en lien avec le soutien au développement de nouveaux lieux de formation professionnelle, est tombé à point nommé pour appuyer la dynamique amorcée par la municipalité depuis plusieurs mois sur les thématiques de l’emploi, de la formation et de l’apprentissage en milieu rural. L’Incubateur Rural devrait ouvrir ses portes officiellement 1er trimestre 2025. D’ici là, nous sommes dans une phase de préfiguration et utilisons dès à présent les locaux de La Forge, espace de vie rurale créé fin 2023 pour lancer la dynamique. 

 

Justement, de quelle manière structurez-vous ce projet de formation professionnelle au sein du Kreuzet ?

 

David Lecuyer : Nous nous sommes lancés initialement dans cet appel à projets à trois acteurs. Il y a la municipalité comme tête de pont et porteur du projet Le Kreuzet, et deux partenaires formation : Compositwings (société de conseil et de formation basée à Vire) et le Campus des Entrepreneurs (organisme de formation intervenant en Région parisienne et nouvellement arrivé en Normandie). En candidatant, nous étions bien conscients de devoir faire face à au moins deux freins : d’une part, Le Kreuzet était en projet et n’existait pas encore en tant que tiers lieu ; d’autre part, nous étions une commune, c’est-à-dire une collectivité qui ne dispose a priori pas de compétence permettant de se positionner sur le champ de la formation. En revanche, nous étions motivés et sûrs de pouvoir mener ce projet à terme grâce à son ADN expérimental et à notre dynamisme sur le territoire. Il faut noter ici le courage de la Région Normandie, qui a osé soutenir notre projet agile et innovant, véritable « ofni » sur le champ de la formation professionnelle en ruralité !

 

L’objectif du projet consiste à réunir au sein de ce tiers-lieu des apprenants et des acteurs de la formation professionnelle : dans quelle mesure répondez-vous ici à un besoin local ?

 

David Lecuyer : À Saint-Rémy-sur-Orne comme ailleurs, le constat est le suivant : beaucoup d’entrepreneurs font face à des difficultés sur le champ de la formation, comme des difficultés de recrutement, taux de rupture des apprentissages et des problématiques en lien avec la motivation des apprenants (leur posture notamment), etc. Il y a de ci de là une petite musique laissant entendre que les jeunes ne seraient plus motivés par les métiers manuels, reboutés par la pénibilité notamment. D’un autre côté, lorsque vous discutez avec des jeunes, ils vous parlent d’un problème générationnel avec certains patrons, voire de rapports à l’autorité différents de part et d’autre. Personnellement, je suis fils d’artisan, j’ai grandi dans cette région et, croyez-moi, ce sont des choses que l’on entend de plus en plus. Avec le maire Serge Ladan, nous avons décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps. L’idée de départ consiste à créer une promotion territoriale d’apprentis inter filières au sein du Kreuzet, en réussissant à mettre autour de la table des entreprises et des jeunes en apprentissage pour aller creuser des pistes d’amélioration. Nous n’allons surtout pas nous substituer aux acteurs tels que les Centres de Formation pour Apprentis, mais bien au contraire créer des passerelles au plus près du terrain avec les entreprises, nous placer dans des interstices et proposer des dispositifs d’accompagnement et de formation complémentaires. Le Kreuzet sera un lieu d’échanges et d’accompagnement sur ces thématiques d’apprentissage. Dès septembre 2024, nous lancerons la 1èrepromotion territoriale : proposer aux apprentis de se réunir un jour par mois sur le temps « entreprise », pour travailler sur leur projet professionnel, leur posture et leur motivation. Notre programme portera sur le savoir être et les « Soft Skills », étant entendu que les savoirs faires relèvent des entreprises et des CFA. Les dirigeants d’entreprise et tuteurs se réuniront quant à eux une demi-journée tous les 2 ou 3 mois pour être accompagnés sur les mêmes thématiques. 

 

Le projet est donc assez global !

 

David Lecuyer : Absolument. Et nous sommes déjà sollicités pour élargir l’expérimentation de ce type d’accompagnement auprès d’autres territoires, mais aussi après des publics en recherche d’emplois, des porteurs de projet d’entrepreneuriat. Reste la question pleine et entière du modèle économique pour pérenniser ce type d’accompagnement. C’est l’essence même du projet Le Kreuzet : nous souhaitons ainsi redynamiser fortement le territoire local sur les enjeux de formation et d’employabilité, en ayant un positionnement très disruptif pour une commune rurale. Nous souhaitons vraiment être un agrégateur de compétences, d’acteurs économiques parmi lesquels se trouvent de nombreux artisans et commerçants, sur des réflexions nouvelles autour du travail et de l’emploi. Elle est là l’idée d’être un incubateur rural… et encore une fois il faut remercier Deffinov et la Région Normandie de nous accompagner sur cette aventure.

 

(Photo : David Lecuyer, à gauche, et Serge Ladan, maire de Saint-Rémy-sur-Orne)

 

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