« La classe inversée fait évoluer la posture du formateur »


30/05/2023
Chapô

Issu de la filière infirmière, docteur en sciences de l’éducation et de la formation et cadre supérieur de santé au sein de l’IFCS du CHU de Rouen, Loïc Martin pratique depuis dix ans la classe inversée. Une approche pédagogique innovante qui repose sur le numérique et qui permet de développer des compétences professionnelles à la fois décisionnelles et communicationnelles. Tout en faisant du formateur un accompagnateur de l’apprenant, désormais plus acteur de son apprentissage.

Portrait de Loïc Martin
Paragraphes
Encadré Loïc Martin

Vous êtes formateur de cadres de santé à l’IHU de Rouen : en quoi consiste votre quotidien ?

Loïc Martin : Je suis cadre supérieur issu de la filière infirmière, docteur en sciences de l’information et de la formation. Je forme les cadres de santé à l’Institut de Formation des Cadres de Santé (IFCS) au sein de l’Etablissement Régional de Formation des Professionnels de Santé de Rouen, à la fois des managers et des formateurs. C’est une formation très dense, qui dure une année complète à raison de 35 heures par semaine et ne comprend qu’une semaine de congés… Elle intègre un processus d’innovation pédagogique, dans un environnement numérique de travail.

Vous appliquez dans vos formations la classe inversée : de quelle manière opérez-vous, et avec quels objectifs ?

L. M. : J’ai initié ma réflexion sur la classe inversée en 2012, dans le cadre de mon master recherche en sciences de l’éducation. En 2013, j’ai commencé à l’expérimenter de manière effective et pratique, étant entendu que la classe inversée permet globalement aux apprenants de réaliser une partie du travail en amont, sur la base de consignes adressées par le formateur. Quant au retour en classe, il favorise le travail collaboratif basé sur des projets, des discussions, des débats, etc. Je m’inscris dans le cadre de l’approche européenne qui a été développée par Marcel Lebrun, avec un modèle à trois niveaux (voir illustration jointe, Approche synthétique des différents niveaux (ou types) de classe inversée (Lecoq et Lebrun, s.d., p .7)). 

Il y a aussi une alternance entre temps de présence et « distantiel », n’est-ce pas ?

L. M. : Absolument. La classe inversée comprend essentiellement 2 temps. Le premier a lieu à distance, au moment où l’étudiant instruit le dossier en se référant pour cela à des consignes claires, basées sur des objectifs utilisant la taxonomie de Bloom (modèle pédagogique qui propose une classification des niveaux d’acquisition des compétences). Le second s’effectue en présentiel, pour présenter les informations recueillies. La dimension innovante de cette méthode est liée au rapport au temps et à l’espace. L’étudiant travaille au moment où il le souhaite, là où il veut dès lors que les consignes sont adressées bien en amont. Quant au formateur ou à l’enseignant, il voit sa posture évoluer. Ce dernier est davantage un accompagnateur, moins un « sachant. J’ajoute que la classe inversée existe depuis des siècles. Sa dimension innovante vient du fait qu’aujourd’hui nous utilisons des outils numériques, des supports à lire, des capsules vidéo… Il y a là un fort potentiel, une diversité, qui permettent un enrichissement.

Pour quelles raisons avoir recours à la classe inversée plutôt qu’à une autre approche ?

L. M. : Tout dépend des objectifs du formateur ainsi que du niveau de la formation. L’un des atouts de la classe inversée vient de ce qu’elle permet des niveaux d’activité différents chez les apprenants. Pendant longtemps, j’ai pensé qu’il fallait attendre quelques semaines avant de l’initier dans une classe : or, je viens de la tester au bout de cinq jours de formation et j’ai pu constater qu’il y avait une très bonne « mise au travail » des apprenants. En réalité, c’est la qualité de la stratégie pédagogique du formateur qui est centrale, le sens qu’il veut donner à sa formation. Il faut aussi être confiant dans les capacités de travail des étudiants, ne jamais douter du fait qu’ils vont effectuer du travail personnel à la maison. Personnellement, lorsque je leur délivre mes consignes je reste très positif, je ne laisse aucune prise à l’idée selon laquelle ils ne réaliseraient pas à la maison le travail demandé. Je parle en cela d’ « induction hypnotique verbale » : c’est une posture de confiance qui fonctionne assez bien.

Vous évoquiez un peu plus tôt l’utilisation des outils numériques : quels sont ceux sur lesquels vous vous appuyez ?

L. M. : Un outil tel que Zoom peut être aidant. J’assure des formations de deux jours auprès de formateurs et j’ai eu l’occasion d’utiliser cet outil dans le cadre d’une session de formation, alors que j’avais contracté le Covid : ça s’est très bien passé. Par ailleurs, je mobilise des outils tels que Wooclap (pour dynamiser les présentations), Padlet (un mur collaboratif), Post-It Colibri (brainstorming numérique), Mindomo (cartes mentales) et le logiciel Canva pour les infographies. Je ne vais pas au-delà car il me semble important d’utiliser peu de logiciels mais d’en tirer le meilleur parti.

Vous travaillez dans le secteur de la santé : dans quelle mesure la classe inversée permet-elle de développer des compétences professionnelles propres à ce milieu professionnel ?

L. M. : Dans le premier temps de la classe inversée, les étudiants travaillent seuls, chez eux. Cela peut être aidant dans la mesure où cela les amène à prendre des décisions de manière solitaire, ce qui est tout à fait transférable dans leur champ professionnel. Ensuite, en cours, ils partagent leurs travaux. Cela fait appel à des capacités de présentation, d’argumentation, de synthèse… autant de compétences qui s’appliqueront en équipe dans leur métier de professionnel de santé, au moment de ce que l’on appelle le « raisonnement clinique ». Globalement, le fait de devoir effectuer une présentation devant l’ensemble du groupe oblige à s’exprimer clairement, à déployer des compétences en communication. C’est là encore ce qui se passe dans notre milieu de santé, dans le cadre du soin.

Au final, la classe inversée est-elle plus efficace que d’autres méthodes pédagogiques ?

L. M. : Les études sur ce sujet montrent que la classe inversée est au moins autant efficace qu’une autre approche pédagogique, et qu’elle est au mieux plus efficace. Pour autant, elle ne doit pas être considérée comme une méthode miracle, simplement comme une méthode complémentaire qui va permettre de diversifier les méthodes pédagogiques. L’un de ses attraits vient de ce qu’elle oblige le formateur à remobiliser les fondements pédagogiques liés aux théories de l’apprentissage – constructivisme, socio-constructivisme, séquençage pédagogique… J’insiste sur le fait qu’elle fait évoluer la posture du formateur, moins ancré sur le savoir et plus sur l’accompagnement de l’apprenant. La classe inversée questionne cette posture, ce qui est source de richesse. 

________________

Pour en savoir plus :

. Loïc Martin : https://loicmartin.me

. Article de Loïc Martin sur l’expérimentation d’une classe inversée : https://www.ritpu.ca/fr/articles/view/425

. Marcel Lebrun, la classe inversée : https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/apprendre-autrement-la-classe-inversee/

 

Pour poster un commentaire, veuillez vous identifier.

Connexion