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Métavers en formation : une nouvelle étape ?


23/09/2022
Chapô

Alors que la rentrée bat son plein, de plus en plus d’écoles d’enseignement supérieur et de centres de formation manifestent un intérêt soutenu pour le métavers. Certaines vont même jusqu’à proposer des formations à 100% métavers. Quels enjeux ? Quels objectifs ? Point d’étape en compagnie de quelques acteurs éclairés.

Etudiants avec casques de réalité virtuelle
Paragraphes

En cette rentrée 2022-2023, l’offre de Kwark Education est loin de passer inaperçue. À compter du mois d’octobre en effet, l'un des leaders français de la digitalisation de la formation propose un enseignement à 100% en métavers. Quelque 250 étudiants, munis de leurs avatars, ont déjà pris le parti de suivre des formations en marketing, finance, comptabilité et commerce… « Après avoir œuvré sur l’individu, nous avons ressenti la nécessité de travailler sur le collectif », indique Alban Miconnet, le président de Kwark Education (voir interview par ailleurs).

Une réflexion entamée il y a presque 20 ans

Le métavers en formation ? L’idée est suivie d’effet dans quelques établissements déjà, notamment en Normandie pour l’Ecole 404 qui propose elle aussi une formation à 100% dématérialisée et emmenée par des avatars (voir interview de son président, Stéphane Leforestier, par ailleurs). Il faut dire que cette idée n’est pas tout à fait nouvelle... Souvenons-nous : en 2003, la naissance de Second Life, le premier métavers 3D, s’accompagne de créations initiées par les résidents eux-mêmes. Parmi eux, des écoles ayant pignon sur rue et qui vont rapidement proposer des formations au sein du monde virtuel. C’est notamment le cas de l’EM Normandie. « Nous n’étions alors pas très mûrs : il existait des limitations, notamment sur les capacités d’accueil. Mais nous pensions, et nous continuons de penser, qu’il fallait mener cette réflexion », explique Olivier Lamirault, directeur de l’Innovation et des Technologies éducatives au sein de l’école de commerce normande. Une graine est toutefois plantée dans le terreau fertile de la formation en métavers, et de nombreuses structures vont dès lors poursuivre leur réflexion. Leur champ : la mise en place d’un univers connecté, 3D, immersif, au sein duquel l’avatar rend possible des interactions sociales et économiques.

Formation professionnelle : déjà quelques entreprises précurseurs

Cette appétence pour les univers connectés, détaillée dans notre précédent dossier, se traduit par des formations de plus en plus immersives. Dans le champ professionnel, le métavers a ainsi été adopté par quelques entités avant-gardistes. Parmi ces dernières, le groupe SNCF. Au sein de sa filiale SNCF Réseau, l’Immersive Studio créé en 2018 (15 professionnels de l’ingénierie pédagogique) propose un outil de formation reposant sur un avatar et la possibilité de bénéficier de supports digitaux sur mesure. Maquettes, vidéos, streaming, objets 3D, « éclaté » permettant de montrer les multiples composantes d’un produit… Les ressorts de ces formations sont tout aussi nombreux que les cas d’usage. Citons parmi ces derniers la sensibilisation à la prévention des risques liés à l’activité physique, les gestes métiers, la présentation d’une sous-station électrique ou encore la formation au montage d’appareils de voie… 

Autre exemple d’expérimentation du métavers en formation professionnelle chez Chaussea. Forte de ses 500 magasins en France, la société de distribution de chaussures s’est lancée ces derniers mois dans la formation de ses apprentis à distance, en digitalisant notamment le titre de Professionnel Vendeur Conseil en Magasin. Equipés d’un ordinateur, d’une clé 4G et d’une montre ainsi que d’une paire de lunettes connectées, les alternants ont la possibilité de suivre un parcours de formation complet tout en maintenant un lien actif avec leur CFA à distance. Le métavers leur offre ainsi une solution de formation concrète, efficiente, qui leur permet de travailler sur la totalité du territoire national. « En plus de la dynamique de groupe, le fait que nous soyons en téléprésentiel nous permet de mettre en place une formation réellement inclusive », avance Stéphane Leforestier, président du CFA de l’école 404, qui forme cette année une vingtaine de développeurs en métavers.

Le métavers nécessite encore d’être pensé

Quel avenir pour de telles formations ? S’il offre bien des avantages (et notamment des interactions sociales, comme le rappelle Alban Miconnet dans l’entretien qu’il nous a accordé), le métavers n’en présente pas moins un certain nombre d’enjeux. « Evidemment, il faut que le contenu soit adapté », avance ainsi Nathalie Badreau, directrice du département Influence et réputation de l’ISCOM (école de communication et de publicité présente sur 10 campus en France) et co-fondatrice du Metaverse Lab. « Il faut bien comprendre que le métavers et le virtuel n’ont pas vocation à remplacer l’enseignement traditionnel mais à le compléter, à le moderniser, à l’améliorer ». Même prérequis pour Olivier Lamirault, qui insiste sur le fait que le métavers nécessite d’être pensé, tout en suscitant l’adhésion de la communauté enseignante. « Il s’agit de proposer des solutions qui viennent soutenir la pédagogie, voire l’améliorer. Il faut que le métavers apporte quelque chose : on ne peut s’en tenir à créer une salle virtuelle, des fauteuils et inviter des avatars à s’asseoir. Pour le dire autrement, il faut du contenu ! » 

La nécessaire dimension émotionnelle

Un contenu qui nous renvoie finalement à l’un des grands sujets de fond de la formation professionnelle. « Pour les organismes de formations comme pour les établissements scolaires, l’enjeu consistera en effet à s’adapter aux objectifs pédagogiques », explique Samuëlle Dilé, experte en pédagogie multimodale et en sciences cognitives. « Il s’agira par ailleurs de faire en sorte que les interactions sociales aient lieu, et qu’elles reposent sur la notion de crédibilité. ». 

Pourrons-nous rapidement, grâce au métavers en formation, déployer des échanges sociaux dignes de ce nom ? La dimension virtuelle sera-t-elle au rendez-vous des interactions sociales ? Quid de la puissance réelle de l’avatar ? « C’est une question majeure, qui renvoie non seulement aux interactions, mais également à la mobilisation des émotions et des sens », poursuit Samuëlle Dilé. « Nous savons que toute expérience vécue virtuellement se doit d’être réaliste pour le cerveau humain. C’est ici que le niveau de précision et la justesse de la réalité virtuelle interviennent : il faut absolument que le son, la vision, la fluidité des mouvements mais encore la dimension sensorielle et tactile soient au rendez-vous. Cette dimension émotionnelle est majeure dans le rapport à l’autre et la qualité de l’engagement. »  

Autant de questions sur lesquelles les propositions qui sont actuellement faites par certaines écoles et établissements supérieurs devraient permettre de nourrir notre réflexion collective. À suivre donc…

Portrait d'Alban Miconnet

« Nous allons tester, essayer… Nos apprenants ne sont pas des cobayes ! »

En cette rentrée, Kwark Education est la première école à proposer des formations à 100% en métavers. Pourquoi ce choix ? Comment se passera l’année pour les étudiants ? Explications d’Alban Miconnet, président de Kwark Education.

Qu’est-ce que Kwark Education ?

Alban Miconnet : Depuis 15 ans, Kwark Education propose un univers complet, connecté et ouvert, présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la formation : les médias, l’orientation, la partie tech, une académie… Nous ne sommes pas que des techniciens : il y a avec nous les professeurs, des responsables pédagogiques, des monteurs, des caméramen… Ceci pour dire que nous travaillons tout à la fois sur la pédagogie, le beau et l’automatisation. 

Pourquoi avoir créé le MétaKwark, un métavers conçu pour l’éducation ?

A. M. : Grâce au digital, nous avions réussi à améliorer une partie de la qualité d’un cours, notamment en rendant celui-ci plus intéressant avec l’apport de comédiens, des contenus qualitatifs, etc. Après avoir œuvré sur l’individu, notamment via l’individualisation des parcours, et travaillé sur la réassurance, nous avons ressenti la nécessité d’agir sur le collectif. Le métavers permet en effet de déployer les interactions et les services d’un campus physique à distance. Il n’en fallait pas plus pour que nous nous lancions !

Comment le MétaKwark va-t-il se déployer chez Kwark Education ?

A. M. : À partir du mois d’octobre, nous allons accueillir 250 étudiants au sein de formations aussi variées que le marketing, le commerce, la finance ou la comptabilité. Ces diplômes sont reconnus par l’Etat en tant que titres RNCP [Répertoire National des Certifications Professionnelles, NDLR]. Les étudiants auront accès bien sûr à des salles, mais des conférences, des expositions d’œuvres d’art… Grâce à ce métavers ouvert sept jours sur sept chaque jour de l’année, nous allons favoriser les interactions sociales. 

Comment cela se passera-t-il pour les étudiants ?

A. M. : Chaque étudiant aura accès à un planning, et aux avatars de ses camarades de promotion. Chaque avatar sera créé à partir de la photo de l’étudiant, et une garde-robe sera mise à disposition. Nous pourrons ainsi travailler la dimension comportementale, le savoir être. Notre projet est également de donner les clés du campus aux étudiants afin que ceux-ci puissent organiser des réunions entre eux, des événements, dans une perspective de social learning. Nous allons tester, essayer, mais avec toujours des solutions de repli pour chaque étudiant. Nos apprenants ne sont pas des cobayes, nous ne perdons jamais de vue la responsabilité que nous avons à leur égard.

Portrait d'O. Lamirault

« Le contenu est essentiel »

Directeur de l’Innovation et des Technologies éducatives au sein de l’EM Normandie, Olivier Lamirault revient pour nous sur son expérience du métavers, ainsi que sur l’avenir de ce champ. Pour lui, le contenu en constitue la clé de voûte.

L’EM Normandie est particulièrement engagée sur le métavers : pour quelles raisons ?

Olivier Lamirault : Nous réfléchissons sur cette question depuis 2005, c’est-à-dire depuis l’aventure Second Life. Nous avions déjà, à l’époque, effectué des enseignements dans cet univers virtuel. Nous n’étions alors pas très mûrs : il existait des limitations, notamment sur les capacités d’accueil. Mais nous pensions, et nous continuions de penser, qu’il fallait mener cette réflexion. C’est ce que nous faisons aujourd’hui au sein du laboratoire de l’Innovation et des Technologies éducatives que je dirige.

Quelles sont vos missions ?

O. L. : Nous avons d’abord une mission d’accompagnement du corps professoral de l’école, qui se déploie sur six campus : cela représente 1000 enseignants à qui nous proposons des outils digitaux qui viennent accompagner leur pédagogie. Nous avons ensuite un volant d’innovations que nous explorons dans le cadre d’un dispositif qui se nomme Qualia : ces explorations nous permettent d’agir sur le design pédagogique, l’implantation de technologies éducatives, et plus largement sur tout ce qui relève de la transformation due au digital. Enfin, nous contribuons à la formation des enseignants.

De quelle manière vous emparez-vous du métavers en 2022 ?

O. L. : Nous avons d’ores et déjà réalisé un ensemble de POC [Proof of concept, NDLR], notamment avec des flycases dans lesquelles nous embarquons des casques de réalité virtuelle (RV). Nous faisons de la mise en action, de l’essai-erreur, du feedback… Nous avons mis en place une simulation d’enseignement en réalité virtuelle sur le champ du marketing, que nous montrons aux enseignants. Et à partir de décembre 2022 nous ouvrirons un métavers avec des étudiants et des enseignants. Nous créerons ainsi des échanges, des interactivités, de la communication entre nos différents campus… Les premiers cours devraient pouvoir être animés au courant du premier trimestre 2023. Il faut, je crois, se donner le temps de réfléchir et de mûrir un peu…

C’est-à-dire ?

O. L. : Le métavers nécessite d’être construit. Il faut aussi avoir l’adhésion de la communauté enseignante, proposer des solutions qui viennent soutenir la pédagogie, voire l’améliorer. Il faut que le métavers apporte quelque chose : on ne peut s’en tenir à créer une salle virtuelle, des fauteuils et inviter des avatars à s’asseoir. Pour le dire autrement, il faut du contenu ! Parfois j’ai l’impression que nous vivons avec le métavers ce que nous avons vécu avec les plateformes en ligne il y a une quinzaine d’années : un grand emballement, des concepts mais pas de contenus. Celui-ci est pourtant indispensable : la simulation induit par exemple du codage, des objectifs, une réflexion…

Dans de telles conditions, quel avenir voyez-vous pour le métavers en formation ? 

O. L. : Les éditeurs de contenus sont en train de se mobiliser, comme l’a montré par exemple le dernier salon de la Réalité Virtuelle, Virtuality. Nous allons trouver de plus en plus de contenus sur étagères. Il faudra produire des contenus sur mesure. Ces contenus dont on parle devront être engageants, mettre dans l’action, plonger les apprenants dans des simulations. C’est à ce titre que le métavers aura un avenir dans la formation. Par ailleurs, il va falloir également apprendre à vivre avec un casque de réalité virtuelle. Heureusement pour nous, ces casques vont s’alléger et devenir agréables à porter. Le casque de RV ou de réalité mixte possède cette capacité de piéger la perception de notre cerveau et donc de nous plonger dans des univers de simulations variés à l’intérieur desquels la formation prend un nouveau visage. L’apprenant doit être l’acteur principal de ces simulations dans le métavers pour déclencher des apprentissages.  Pour parvenir à cela, le contenu interactif et engageant reste essentiel ! Il reste et restera incontournable.

Portrait de S. Leforestier

« Être plus inclusif grâce au métavers »

Depuis cette rentrée, l’école 404 (basée à Hérouville Saint-Clair et à Colombelles) propose à ses apprenants des formations à 100% dans le métavers. Quels sont les avantages de la formule ? Entretien avec Stéphane Leforestier, président de ce CFA.

Pouvez-vous nous présenter l’école 404 ?

Stéphane Leforestier : L’école 404 est un centre de formation d’apprentis qui prépare au métier de développeur. Nous existons depuis 2019, et notre public est en grande partie composé à la fois d’apprentis et de DE en reconversion.

Vos formations sont désormais à 100% assurées en métavers : comment en êtes-vous arrivés à mettre en place cette offre ?

S. L. : Cela a été un processus de plusieurs mois, dans lequel la pandémie du Covid a joué un rôle central. Nous avons vécu le premier confinement de manière dramatique : il a fallu basculer en distanciel en un week-end, avec une pédagogie qui n’était pas encore adaptée, sur la base d’une offre classique en mode Office 360. Très vite nous avons noté une certaine passivité de la part de nos apprenants… Les confinements qui ont suivi n’ont pas arrangé les choses : dès que nous avions un cas contact il fallait tout stopper ! Il était très difficile d’avoir un suivi des apprenants, et il nous manquait l’essentiel : la dynamique de groupe. C’est ici qu’est intervenu le métavers. Dans un premier temps, nous l’avons mobilisé sur un mode ludique, en organisant un simple jeu. Celui-ci nous a permis de nous retrouver, à un moment où beaucoup d’entre nous étions cas contacts… Nous avons alors constaté que le métavers permettait de redonner de la dynamique de groupe.

D’où une offre de formation qui, en cette rentrée, est à 100% métavers : quels avantages y voyez-vous ?

S. L. : En cette rentrée, l’école 404 se positionne en téléprésentiel, ce qui nous permet de tendre très nettement vers le métavers. Chaque apprenant dispose d’un avatar, de salles, de cours, de ressources… Le temps de formation comme les temps périphériques sont à 100% métavers, et concernent actuellement une cinquantaine d’apprenants. En plus de la dynamique de groupe, le fait que nous soyons en téléprésentiel nous permet de mettre en place une formation réellement inclusive. Grâce à cet outil, il est possible aux personnes porteuses de handicap de se former. Le métavers permet également de féminiser nos formations, traditionnellement très masculines. Il permet encore de lever le frein géographique : nos apprenants viennent de toute la France, dans un contexte où les développeurs informatiques sont de plus en plus appelés à être recrutés en mode télétravail. Et puis je dois dire que nos formations métavers nous ont également permis de séduire des formateurs qui figurent parmi les meilleurs dans leur champ. Là encore, le fait de pouvoir intervenir depuis leur domicile a ouvert le champ des possibles, avec des partenariats conclus avec de réels experts. Qualitativement, c’est un plus !

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